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jeudi 18 avril 2024

Triptych, une trilogie apocalyptique de la compagnie Peeping Tom au Théâtre National de Munich

Photo © Virginia Rot

https://resonances-lyriques.org/triptych-une-trilogie-apocalyptique-de-la-compagnie-peeping-tom-au-theatre-national-de-munich/
La compagnie Peeping Tom a fait cette année sa grande entrée sur la scène du Théâtre National de Munich où elle vient de présenter pour deux soirées la trilogie de son spectacle TRIPTYCH en tant que spectacle invité de la Semaine festive du ballet organisée par le Ballet d'État de Bavière.  

Peeping Tom est une compagnie basée en Belgique fondée en 2000 par  Gabriela Carrizo et Frank Chartier, bientôt rejoints par Euridike De Beul. La principale marque de fabrique de Peeping Tom est une esthétique hyperréaliste, soutenue par une scénographie concrète. Les scénographes créent dans un espace défini : un jardin, un salon et un sous-sol dans une première trilogie créée de 2001 à 2007,  deux caravanes résidentielles au milieu d'un paysage enneigé dans 32 rue Vandenbranden en 2009, un théâtre brûlé dans À Louer en 2011. Les chorégraphes y créent à chaque fois un univers instable qui défie la logique du temps et de l’espace. L’isolement y mène vers un monde onirique de cauchemars, de peurs et de désirs dans lequel les créateurs mettent habilement en lumière la part sombre de l’individu ou d’une communauté. Le huis clos de situations familiales ou de groupes humains confinés dans un espace défini constitue une source importante de créativité pour la compagnie. En 2015, Peeping Tom présentait à Munich deux spectacles, The Land et Vader au Festival munichois de danse contemporaine DANCE 2015.

Le titre du spectacle TRIPTYCH rappelle celui du Trittico, la trilogie de Puccini que l'on a récemment pu revoir sur la scène du Théâtre National. Le terme se réfère aux peintures ou sculptures composées en trois panneaux, dont les deux volets extérieurs peuvent se refermer sur celui du milieu, un format qui s'est développé à partir du 12ème siècle dans les retables religieux, avec une nécessaire connexion thématique des trois panneaux. TRIPTYCH est une pièce de danse-théâtre dont les trois parties, The missing door, The lost room et The hidden floor (La porte manquante, La chambre perdue, Le sol caché), ont été  au départ créées à l'origine pour le Nederlands Dans Theater avant d'être réunies dans un spectacle unique présenté au Teatro Central de Séville en janvier 2021

Photo © Maarten Vanden Abeele

Le spectacle montre le monde des pensées d'un homme dont la vie défile devant lui comme un film. En conséquence, le décor se compose de trois plateaux de tournage, dans lesquels les personnages sont confrontés à différentes réalités. L'aspect cinématographique caractérise également l'environnement sonore et les bruits : on peut entendre un verre qui tombe, des portes qui claquent, un cœur qui bat ou les grincements et les raclements d'un bateau. Triptych crée un maelström fascinant à partir de moyens théâtraux anciens et nouveaux.

L'action se situe sur un transatlantique dont on découvre trois espaces où se déroulent des événements étranges. Cela commence par une espèce de comédie macabre dans laquelle les objets ont une vie autonome. Un serveur découvre le corps gisant d'une femme et se met à nettoyer le sol au moyen d'un chiffon dont on s'apercevra bientôt qu'il est taché de sang. La femme est morte. Le chiffon semble doté d'une vie propre car il se met à se déplacer rapidement sur le sol, poursuivi par le serveur qui tente de le contrôler. Des portes s'ouvrent et se ferment en claquant sans l'intervention d'une main humaine, des chaises se déplacent. Les personnages sont emportés par le tangage et le roulis du navire. La fin de la première partie est ouroborique : le cadavre de la femme est à nouveau au centre de la scène, le serveur se remet à nettoyer le sol, comme si le film rebobiné reprenait en son début. 

Chaque partie de cette trilogie a son propre cadre unique, tel un décor de cinéma. The missing door évoque un salon ou un couloir aux portes multiples. L’action dans The lost room se déroule dans une cabine de bateau, et se concentre sur le monde intérieur des personnages. The hidden floor a lieu dans le cadre d'un restaurant abandonné en raison du naufrage imminent. Les pauses et les entractes font partie du spectacle : les changements de décors entre les trois pièces se font à vue, comme cela se passe sur le plateau de tournage d'un film. 

Photo © Maarten Vanden Abeele

Les décors, les accessoires et les lumières sont dotés d'une vie propre et participent de la chorégraphie. En troisième partie, les éléments se déchaînent, le paquebot est pris dans une tempête d'une force inouïe, un  violent incendie se déclare, tous les passagers sont promis à une mort certaine, l'eau s'infiltre de partout, le bateau va sombrer. Dans cette situation extrême et totalement désespérée où l'humour et le burlesque ne sont (presque) plus de mise, les passagers dévoilent de plus en plus leur inhumanité, on assiste à des scènes de panique, des cadavres sont précipités dans la mer, des couples tentent une dernière fois de faire l'amour, il y a sans doute des scènes de sadisme,  des meurtres, des viols, pour d'autres de l'apathie et de la résignation, tout le bateau, hommes, femmes et objets,  est saisi d'une grande folie. L'environnement sonore, déjà éprouvant en première et deuxième parties avec l'utilisation de bruitages typiques des films d'horreur, devient tonitruant, au point que le théâtre a mis à l'entracte des tampons auriculaires à la disposition des spectateurs.

Les chorégraphes poussent les danseurs à dépasser leurs propres limites dans des mouvements et des expressions paroxystiques. Il y a un travail corporel digne des plus grands numéros des acrobates et de contorsionnistes au cirque, mais il est ici une partie essentielle de la mise en scène, dans une esthétique qui mêle le burlesque à l'horreur. Les enchaînements sont d'une précision millimétrée qui laisse pantois. La compagnie Peeping Tom réalise une oeuvre d'art total dans un spectacle apocalyptique où les corps des danseurs sont à la limite de la désarticulation, de l'écartèlement ou encore de l'apesanteur et où les nerfs des spectateurs sont soumis à un tension extrême, insoutenable, cathartique sans doute. Un spectacle dont on ne sort pas indemne.

mardi 16 avril 2024

Duato / Skeels / Eyal — Trois univers chorégraphiques en ouverture de la Semaine festive du Bayerisches Staatsballett

La Ballet d'État de Bavière a proposé en ouverture de sa traditionnelle semaine de fête un "triple bill", trois chorégraphies respectivement signées par Nacho Duato, Andrew Skeels et Sharon Eyal, qui déploient en une seule soirée la grande variété tant des langages chorégraphiques que des expressions musicales, qui vont de la musique d'un classicisme plastique de Karl Jenkins au technobeat électronique d'Ori Lichtik en passant par la bande cinématographique d'Antoine Seychal. 

Monter trois ballets en une même soirée relève de l'exploit sur le plan de l'organisation des répétitions, ce que ne perçoit pas le public, confortablement installé pour partir dans un voyage spatial et temporel à la découverte de trois mondes de la danse contemporaine. Un élément commun relie pourtant ces mondes si différents, un fil rouge traverse ces trois huis clos, celui des stratégies de fuite que leurs habitants tentent de mettre en place pour s'en échapper, et la mort ou la dépersonnalisation qui peuvent en résulter.

White Darkness © Nicholas MacKay

C'est en novembre 2001 au Teatro de la Zarzuela de Madrid que la Compañía Nacional de Danza créa White Darkness de Nacho Duato, une oeuvre qui fut inspirée au chorégraphe valencien par la tragédie du décès d'une de ses sœurs. Le ballet, accompagné d'œuvres pour quatuor à cordes et orchestre à cordes de Karl Jenkins, traite de la fascination et de l'addiction aux drogues.  " Je suis profondément frappé par la tristesse des jeunes qui laissent la drogue envahir leur vie et glissent dans un monde sombre, un monde si sombre qu'il n'y a pas d'échappatoire. " expliquait Nacho Duato au moment de la création. White Darkness est un requiem dédié à la mémoire de sa soeur morte prématurément. L'oxymore du titre peut s'expliquer de la manières suivante : le white de la poudre blanche, cocaïne ou héroïne, est associé à l'obscurité, à la nuit sombre de la darkness. La poudre lumineuse tombe du ciel comme une manne, comme une messagère d'espérance et de joie de vivre, les junkies la recueillent dans la paume de leurs mains et s'en abreuvent, mais cette consommation ne leur procure qu'une agitation fiévreuse. Le ballet illustre plus qu'il ne raconte, il évoque la recherche avortée d'une histoire d'amour intense, d'une profonde déception que  l’héroïne cherche à oublier en l'anesthésiant. Mais la drogue ne peut offrir qu'un paradis artificiel, elle égare, aliène l'esprit et conduit à l'isolement et à la mort. Les danseurs évoluent sur la belle musique de Karl Jenkins qui, influencée par le new age et la world music, est d'un classicisme moderne. La chorégraphie est interprétée par dix danseurs, tous excellents, un groupe au sein  duquel Madison Young et Jakob Feyferlik tiennent la vedette.

Chasm © W. Hoesl

Post Apocalypse Now ! On rentre dans un tout autre univers avec la première mondiale de Chasm (Le gouffre, l'abîme ou la déchirure) du Nord-Américain Andrew Skeels, qui travaille pour la première fois avec le Bayerisches Staatsballett. Skeels nous introduit dans un monde futur lointain, à des milliers d'années de notre ère, un monde dans lequel s'est développée une nouvelle espèce humaine qui est le fruit d'un processus d'évolution. Le chorégraphe explique avoir été fortement impressionné par le film Dune de Denis Villeneuve, et plus particulièrement encore d'avoir été comme hypnotisé par l'arsenal sonore du compositeur Hans Zimmer qui génère l'atmosphère du film. Ici ce sont les ambiances sonores cinématographiques du compositeur Antoine Seychal qui accompagnent la progression du scénario de science-fiction du ballet. La nouvelle humanité de Chasm vit sous terre dans un réseau de grottes dont les ramifications sont inspirées par le mycelium, l'appareil végétatif des champignons. Des changements climatiques contraignent  la communauté à changer son mode de vie et, par des pratiques rituelles, à tenter de provoquer une déchirure par laquelle s'échapper du huis-clos de la grotte. Mais ses membres qui tentent de rejoindre la lumière meurent les uns après les autres et en fin de ballet ne reste debout d'un seul humain qui tend les bras dans un espoir de salut vers une déchirure lumineuse dont on ne saura jamais si elle lui aurait été salutaire. Le langage chorégraphique est empreint d'une esthétique cinématographique caractérisée par la vitesse et le goût du risque. Il insiste sur la coordination des mouvements des danseurs souvent inspirée par l'observation de phénomènes naturels. Ainsi d'une extraordinaire couronne de danseurs dont les corps imbriqués imitent le cercle concentrique et la danse des tentacules radiaires d'une anémone de mer. Un moment saisissant de beauté dans l'univers oppressant de la grotte. 

Autodance © S. Gherciu

Munich avait déjà pu découvrir l'art de la chorégraphe d'origine israélienne Sharon Eyal lors des festivals DANCE en 2015 et 2017, puis en 2020 au Bayerisches Staatsballett avec Bedroom Folk, une chorégraphie qu'Eyal avait présentée pour la première fois en 2020 au Bayerisches Staatsballett avec son partenaire artistique Gai Behar. Autodance est la deuxième œuvre issue de leur collaboration. Le préfixe grec "auto" fait référence à une danse qui puise son énergie en elle-même. On assiste à la création d'un nouveau monde, un monde dont le moteur est le mouvement.

Au Commencement était le Mouvement
Et le Mouvement s'est fait Chair
Et il s'est allongé

C'est bien ce qu'énonce Sharon Eyal qui affirme que la chorégraphie Autodance a été créé à partir du mouvement pur. Un mouvement qui accentue l'élongation des bras et des jambes et qui nous a semblé avoir des connotations animalières, dans ce que les animaux ont  de plus parfait. Cela nous évoque l'évolution des chevaux lipizzans dans l'école d'équitation de Vienne, l'élégante silhouette des flamants roses et leur magnifique parade nuptiale, celle encore des grèbes huppés. C'est aussi comme une mécanique huilée dont on aurait recherché la perfection. Tout cela dans l'environnement sonore de la musique énorme, pulsante du beat électronique créé par Ori Lichtik. Son tempo de sons percussifs et ses rythmes semblent le déclencheur des mouvements des danseurs. Autodance est une création fascinante qui joue sur les concordances entre le mouvement, la lumière et les pulsations de la musique. On se trouve aussi au sein d'un monde postmoderne dans lequel les danseurs, tous revêtus d'un même costume qui aplatit les poitrines et souligne le galbe des corps,  n'ont pas l'air d'être sexués. La dualité des sexes a disparu au profit d'un monde unifié dont les habitants célèbrent de concert l'esthétique suprême du mouvement. Autodance intègre harmonieusement la danse, la techno et la technique, tantôt explosive, tantôt sublime. Un ensemble visuel, émotionnel, bien structuré et hautement esthétique. S'il y a ici une fuite de la réalité, c'est une fuite en avant qui tend vers la perfection. Une chorégraphie d'une beauté confondante.

Distribution

White Darkness (2001)

Chorégraphie Nacho Duato
Musique Karl Jenkins
Décors Jaafar Chalabi
Costumes Lourdes Frías
Lumière Joop Caboort
Répétitions Thomas Klein
Avec Madison Young, Jakob Feyferlik, Bianca Teixeira, Zachary Rogers, Elvina  Ibraimova, Andrea Marino, Margarita Fernandes, António Casalinho, Eline Larrory et Severin Brunhuber

Chasm (2024)

Chorégraphie Andrew Skeels
Musique Antoine Seychal
Costumes Marija Djordjevic
Décors Michel Ostaszewski
Lumière Christian Kass
Assistance chorégraphique Jean-Sébastien Couture Nicolas Grosclaude

Avec Maria Chiara Bono, Polina Bualova, Dani Gibson, Ana Gonçalves, Margarita Grechanaia, Jasmine Henry, Marina Mata Gómez, Polina Medvedeva, Laura Orsi, Chelsea Thronson, Anastasiia Uzhanskaia,  Margaret Whyte, Tommaso Beneventi, Matteo Dilaghi, Alexey Dobikov, Vladislav Dolgikh, Konstantin Ivkin, Nikita Kirbitov, Soren Sakadales, Florian Ulrich Sollfrank

Autodance (2018)

Chorégraphie Sharon Eyal
Collaborateur chorégraphique Gai Behar
Musique Ori Lichtik
Costumes Rebecca Hytting
Lumière Alon Cohen
Répétitions Olivia Ancona

Solo Elvina Ibraimova
1er duo Rhiannon Fairless et Zhanna Gubanova
2e duo Severin Brunhuber et Andrea Marino
Avec Carollina Bastos, Madeleine Dowdney, Rhiannon Fairless, Zhanna Gubanova,  Elvina Ibraimova, Eline Larrory, Elisa Mestres, Ksenia Shevtsova, Daniella Venter, Severin Brunhuber, Vladislav Kozlov, Andrea Marino, Zachary Rogers, Rafael Vedra

dimanche 14 avril 2024

Grandes maisons d'opéra — Le Teatro Massimo Vicenzo Bellini à Catania

Photo  © Luc-Henri Roger

Le projet initial du Grand Théâtre Massimo Bellini de Catane fut confié en 1870 à l'architecte italien Andrea Scala, chargé de trouver un site approprié pour la construction d'un nouveau théâtre polyvalent (Teatro Politeama est le nom donné – principalement en Italie - aux théâtres spécialisés dans différents arts du spectacle, chorégraphie, art lyrique, cinéma, etc.).. Après avoir examiné les différentes options, le choix se porta sur la zone de la Piazza Cutelli. Malgré les incertitudes financières, le projet de Scala fut approuvé et, avec l'aide de l'architecte milanais Carlo Sada, il réalisa les travaux, financés par le groupe d'actionnaires de la Società Anonima del Politeama. 

En 1880, la société dut rapidement être mise en liquidation et elle fut remplacée par le conseil municipal, qui décida de transformer la structure en opéra en imposant des modifications au projet.  En raison du peu d'incitations financières à l'époque, la construction du théâtre ne fut achevée qu'en 1887. Il ne fut cependant inauguré que trois ans plus tard, en raison notamment de l'épidémie de choléra qui s'abattit sur la ville en 1887 et, encore une fois, en raison du manque de fonds. Il fallut attendre le 31 mai 1890 pour que le théâtre soit enfin inauguré. Comme il se doit, on y donna la Norma de Bellini, un enfant du pays qui y naquit en 1801. La recette de cette représentation s'éleva à 16.000 francs français. Catania comptait alors 80000 habitants et disposait enfin d'un grand théâtre.

Photo © Teatro Massimo V. Bellini Catania

Avec sa magnifique façade néo-baroque, le style du théâtre de Catane s'inspire de l'éclectisme français du second empire imposé à Paris par Charles Garnier avec l'Opéra de Paris. Le portique d'entrée pour les carrosses, fermé par des grilles en fer, est très élégant. La salle en fer à cheval, avec quatre niveaux de loges et une galerie, comporte 1200 places. Elle est d'une grande richesse décorative. Le plafond est peint de fresques par le peintre Ernesto Bellandi qui y a fait figurer une apothéose du compositeur ainsi que ses plus grandes œuvres : Norma, La Sonnambula, I Puritani et Il Pirata

Le théâtre est considéré comme l'un des plus beaux au monde, et son acoustique est réputée. D'éminents artistes comme Maria Callas ou Beniamino Gigli ont souligné l'exceptionnelle qualité de l'acoustique. Cette caractéristique de première importance est due au travail de Carlo Sada, dont la statue décore la salle ronde.

Photo © Teatro Massimo V. Bellini Catania

Les données au moment de l'inauguration du théâtre sont les suivantes. La salle est assez vaste : le parterre a 19 mètres de largeur sur 22 de long ; la scène est très grande : 11 mètres de large sur 33 de profondeur. Le tout est éclairé par 1,600 becs de gaz. Le rideau est en amiante ; des réservoirs d’eau d’une capacité de 60 mètres cubes sont disposés de manière à combattre efficacement le feu. s’il venait à se déclarer.

Reportage photographique













Photos © Luc-Henri Roger

samedi 13 avril 2024

Clotilde, un poème de Guillaume Apollinaire

Photo Marco Pohle

Clotilde

L’anémone et l’ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l’amour et le dédain

Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaîtra

Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

Photo Luc-Henri Roger



jeudi 11 avril 2024

Le monument à Richard Wagner à Munich Bogenhausen.

 







Photos © Luc-Henri Roger


Ce monument à Richard Wagner est dû au sculpteur alsacien Heinrich Waderé (Colmar, 1865-.Munich 1950). Il a été érigé aux abords de la Prinzregentenplatz (place du Prince-Régent) dans le quartier de Bogenhausen à Munich, à deux pas du  Prinzregententheater (Le théâtre du Prince-Régent, dont l'architecture s'inspire de celle du Palais des Festivals de Bayreuth et dont l'ouverture eut lieu en août 1901). Parmi les projets que présenta le sculpteur, ce fut celui présentant le compositeur assis dans une pose similaire à celle de  Goethe dans le célèbre portrait de Tisbchein  Goethe dans la campagne romaine, qui fut retenu. Il figure Richard Wagner, commodément installé, enveloppé de plaids ou d'un manteau de voyage et tenant une partition à la main gauche.

Johann Heinrich Tibschein ,Goethe dans la campagne romaine. 1787
Städel Museum de Francfort


Le bloc de pierre qui servit à la réalisation du monument est en marbre d'Untersberg, il avait un volume de 14 mètres cubes et pesait 600 quintaux. Il fut très difficile de le transporter. A Unterberg plus de trente chevaux furent  nécessaires pour amener le bloc à la gare de chemin de fer. Le bloc de marbre fut sculpté  dans un atelier à la gare de l'est (Ostbahnhof). Une fois achevé, le monument pesait encore 450 quintaux. On mit deux jours 2 jours à le transporter jusqu'à son emplacement actuel à l'aide d'une d' une locomotive de route spéciale de la firme Maffei .

Transport du monument depuis la gare de l'est de Munich

La cérémonie de l' inauguration en 1913. Au fond à droite, le théâtre du Prince Régent.
Photo conservée au Photo Stadtarchiv München

Le monument a été dévoilé le 21 mai 1913, un jour avant le 100e anniversaire du compositeur.. Le dévoilement a eu lieu en présence du Prince Régent et de l'initiateur du projet, Ernst von Possart, célèbre acteur et directeur de théâtre qui participa activement à la conception et à la réalisation du Théâtre du Prince Régent. Son inauguration fut perçue par beaucoup comme la juste réparation  que devait la ville de Munich à Richard Wagner, qui avait dû quitter les lieux à la hâte en 1865. Cosima, la veuve de Richard Wagner, et leur  fils Siegfried ont refusé d'assister à l'événement vraisemblablement parce que le Festival d'opéra de Munich, les "Münchner Opernfestspiele", faisait concurrence à Bayreuth. L'ouverture d'une salle supplémentaire à Munich, qui plus est d'architecture wagnérienne, accroissait la concurrence.

mercredi 10 avril 2024

Un plateau somptueux pour la reprise du Trittico de Puccini à l'Opéra de Munich

Ermonela Jaho (Suor Angelica)

Le titre Triticco, le tryptique de Giacomo Puccini,  se réfère aux peintures ou sculptures composées en trois panneaux, dont les deux volets extérieurs peuvent se refermer sur celui du milieu. Ce format s'est développé à partir du 12ème siècle dans les retables religieux, avec une nécessaire connexion thématique des trois panneaux.  La metteure en scène Lotte de Beer s'est nécessairement inspirée de ce titre pour résoudre l'équation complexe de la mise en relation de ces trois opéras qui appartiennent à trois genres différents : Il tabarro (La houppelande), un mélodrame vériste, Suor Angelica, un court opéra lyrico-mystique et, Gianni Schicchi, une farce aussi macabre que drôle et savoureuse. Au registre tragique du drame naturaliste qui se déroule sur une péniche amarrée sous un pont parisien succède le registre romantique de la tragédie d'une nonne princière cloîtrée de force dans un couvent toscan pour avoir mis au monde un enfant adultérin, suivi du registre comique d'une farce  qui a lieu dans le cadre cossu d'une maison patricienne médiévale.

Lotte de Beer et son conseiller Peter te Nuyl résolvent le problème de la diversité des trois opéras en en respectant l'inscription temporelle, comme en témoignent les costumes très réussis de Jorine van Beek, qui rendent bien l'atmosphère du pauvre milieu des débardeurs parisiens du début du 20ème siècle, celle de d'un couvent clôturé du 17ème siècle et celle enfin de la Florence du 13ème siècle. C'est par le truchement d'un extraordinaire décor unique dû à Bernhard Hammer et par la thématique commune de la mort que les trois panneaux du Tryptique se trouvent reliés. Le décor figure un tunnel fait de tronçons qui vont s'élevant et s'étrécissant vers le fond de scène et dont une des fonctions symboliques est de représenter le temps qui passe et de permettre le défilé des siècles de l'action. Lors de l'ouverture du Tabarro, c'est un cortège funèbre qui parcourt le tunnel avec deux cercueils, un grand cercueil contenant un corps adulte et un petit cercueil pour enfant. Ensuite, par le biais des accessoires, le tunnel figurera la péniche et les bords de Seine, le couvent et enfin la chambre funèbre de Gianni Schicchi. Les éclairages d'Alex Brok et des enfumages bien calibrés accentuent le rendu des  atmosphères. Les effets visuels s'enchaînent avec souplesse, avec des moments plus intenses à la fin du premier et du deuxième opéras, où l'anneau du second tronçon du tunnel effectue un mouvement complet de rotation, une grande roue qui entraîne le cadavre de Luigi fixé à la paroi et plus tard le fils mort de Suor Angelica qui lui est apparu enchâssé dans une grande croix formée d'un pourtour de lampes à la blanche incandescence. La répétition du procédé crée l'attente d'une répétition dans le troisième opéra, dans lequel Lotte de Beer a opté pour l'effet miroir inversé de la suspension d'un lit à baldaquins reproduisant le lit sur lequel repose le cadavre de Gianni Schicchi. La difficile équation est brillamment résolue, la spécificité de chacun des opéras est parfaitement rendue et cependant des charnières solides  relient les panneaux du triptyque: le tunnel et ses rotations, les thèmes de la mort et des amours illicites ou interdites par le jeu des conventions sociales. 

Commedia dell'arte dans Gianni Schicchi

La réussite de la mise en scène s'accompagne d'un plateau prestigieux et d'une interprétation orchestrale dirigée par le chef tchèque Robert Jindra, qui a su rendre avec un enthousiasme communicatif les émotions, les tendresses, les surprises et l'humour de la partition.  La Bayerische Staatsoper a engagé les meilleurs interprètes, dont le seul énoncé des noms fait rêver. Dans le Tabarro, le baryton italien Ambrogio Maestri prête son imposant gabarit et sa voix puissante au personnage de Michele. Les hésitations de Giorgetta sont subtilement rendues par le jeu de scène magistral et le soprano vibrant, de la grande interprète wagnérienne Lise Davidsen, que l'on découvre ici dans le répertoire italien, un avant-goût prometteur de sa Tosca munichoise annoncée pour la saison prochaine. On retrouve avec bonheur le ténor coréen Yonghoon Lee qui avait déjà interprété Luigi en 2018 et qui séduit par son timbre chaleureux,  son volume intense, la plénitude et les richesses de son chant. La Suor Angelica d'Ermonela Jaho était un des moments attendus de la soirée, c'est ce rôle qui a révélé la chanteuse albanaise en 2011 et qui lui vaut encore aujourd'hui la plus grande des ovations. La soprano a donné une interprétation aux qualités dramatiques bouleversantes qui exprime l'agonie d'une mère écartelée que le désespoir conduit au suicide, d'une religieuse par contrainte dont la foi s'avère inefficace et que seul un miracle peut sauver.  La mezzo-soprano Michaela Schuster rend admirablement la rigidité sordide et glaçante de la tante-princesse, avec un jeu de scène magistral. Enfin,  dans le troisième opéra, Ambrogio Maestri brûle les planches avec son Gianni Schicchi à la truculence pantagruélique, avec une puissance d'interprétation au phrasé exemplaire, inénarrable de drôlerie dans son imitation nasillée de Buoso Donati. Un grand interprète, dont le Falstaff est rentré dans les annales, qui rend aussi bien le désespoir misérable de Michele que les bouffonneries joviales et rusées de Buoso Donati. Elsa Dreisig donne un délicieux "O mio bambino caro", la seule aria de la soirée.  L'orchestre et le chef ont réussi avec brio le difficile exercice de l'accompagnement des dialogues aux répliques très rapides du dernier opéra du Trittico.

Une énorme ovation a salué cette somptueuse soirée d'opéra.

Distribution


Direction musicale Robert Jindra
Mise en scène Lotte de Beer
Décors Bernhard Hammer
Costumes Jorine van Beek
Lumières Alex Brok
Chœurs Franz Obermair

Il tabarro

Michele Ambrogio Maestri
Luigi Yonghoon Lee
Il Tinca Kevin Conners
Il Talpa Martin Snell
Giorgetta Lise Davidsen
La Frugola Natalie Lewis
Un vendeur de chansons Zachary Rioux
Un couple d'amoureux Elsa Dresig Granit Musliu

Suor Angelica 

Suor Osmina Ruth Irene Meyer
Suor Angelica Ermonela Jaho
La zia principessa Michaela Schuster
La badessa Victoria Karkacheva
La suora zelatrice Ursula Hesse von den Steinen 
La maestra delle novizie Noa Beinart
Suor Genovieffa Eirin Rognerud
Suor Dolcina Seonwoo Lee
La suora infirmiera Emily Sierra
1ère chercheuse d'aumône Eliza Boom
2e chercheuse d'aumône Natalie Lewis
1ère infirmière laïque Eliza Boom
2e infirmière laïque Natalie Lewis

Chœur d'enfants du Bayerische Staatsoper

Gianni Schicchi

Gianni Schicchi Ambrogio Maestri

Lauretta Elsa Dresig
Zita Noa Beinart
Rinuccio Granit Musliu
Gherardo Zachary Rioux
Nella Eliza Boom
Gherardino David Geberth
Betto di Signa Christian Rieger
Simone Martin Snell
Marco Daniel Noyola
La Ciesca Emily Sierra
Maestro Spinelloccio Donato Di Stefano
Ser Amantio di Nicolao Andrew Hamilton
Pinellino Roman Chabanarok
GuccioThomas Mole

Orchestre de l'État de Bavière
Opéra national de Bavière

Crédit photographique : Wilfried Hösl

dimanche 7 avril 2024

Vom Splitter und vom Balken — Lüftlmalerei in Mittewald

 



Wos er selbst tut und böß verbracht
das siecht er nit, nimbs nit in acht.

Was sein nächster böß verbricht
Ein jeder mit Lur-Augen siecht

Ziehe zuvor den Balken aus deinem aug und alß  wirst du sehen
wie du den Spliter auf dein Brueders aug heraus bringest.
Luc 6 V 36 
(Feldrede)

Du Heuchler, zieh zuerst den Balken aus deinem Auge; 
danach kannst du sehen und den Splitter aus deines Bruders Auge ziehen.
Matthäus 7, 5 
(Bergpredikt)